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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

pas de la rendre publique. Cette circonstance donna lieu à un assez joli mot d’une femme d’esprit, ancienne amie du cardinal. Il trouva son portrait chez elle.

« Je vous sais bien bon gré, lui dit-il, d’avoir conservé cette vieille gravure.

— J’y ai toujours été fort attachée, Monseigneur, et j’y tiens d’autant plus aujourd’hui qu’elle est avant la lettre. »

Dès que nous sûmes le cardinal à Paris, mon père fut le voir et l’engagea à venir dîner à Beauregard. Il accepta avec empressement et, le dimanche suivant, nous vîmes débarquer d’une immense berline italienne sept personnes : c’étaient son frère, ses neveux, ses nièces, un abbate, enfin toute une maisonnée. Il me dit naïvement que, sortant de chez lui, il avait voulu faire l’économie du dîner d’auberge pour tout ce monde. J’avais conservé un souvenir très reconnaissant des bontés dont il comblait mon enfance ; je ne puis exprimer à quel point je fus désappointée en le revoyant. Sa figure, son ton, son langage tout était à l’avenant et aurait choqué dans un caporal d’infanterie. Il faisait des contes d’un goût effroyable.

Je me rappelle que, pendant ce premier dîner, il nous fit le récit d’une aventure arrivée dans son diocèse de Montefiascone. La scène était dans un couvent, les nonnes, leur confesseur, un grand vicaire envoyé pour recueillir les plaintes portées mutuellement, y tinrent un langage tel que l’histoire aurait plus convenablement figuré aux veillées d’un corps de garde que dans la bouche d’un cardinal. Je fus bien étonnée de le trouver ainsi ; mes parents partageaient ma surprise. Il était tout autre lorsqu’ils l’avaient connu à Rome, quoiqu’il n’eût pas, même alors, les formes de la bonne compagnie. Son frère nous dit qu’à la suite d’une violente maladie le moral avait été atteint.