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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

frais, malgré la misère, un homme pour mener le cheval jusqu’à la lame et deux femmes pour entrer dans la mer avec moi. Ces préparatifs excitèrent la surprise et la curiosité à tel point que, lors de mes premiers bains, il y avait foule sur la grève. On demandait à mes gens si j’avais été mordue d’un chien enragé. J’excitais une extrême pitié en passant ; il semblait qu’on me menait noyer. Un vieux monsieur vint trouver mon père pour lui représenter qu’il assumait une grande responsabilité en permettant un acte si téméraire.

On ne conçoit pas que des habitants des bords de la mer en eussent une telle terreur. Mais alors les dieppois n’étaient occupés qu’à s’en cacher la vue, à se mettre à l’abri des inconvénients qu’ils en redoutaient, et elle n’était pour eux qu’une occasion de souffrance et de contrariété. Il est curieux de penser que, dix ans plus tard, les baigneurs arrivaient par centaines, qu’un établissement était formé pour leur usage et qu’on se plongeait dans la mer sous toutes les formes sans produire aucun étonnement dans le pays.

J’ai voulu constater combien l’usage des bains de mer, devenu si général, était récent en France, car Dieppe a été le premier endroit où on en ait pris.