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PREMIERS BAINS DE MER

quelque chose, car elle cherche à se faire lui autant qu’il est possible.

J’eus en 1806 une maladie si bizarre que cela m’engage à en parler. Chaque jour un violent mal de tête annonçait un frisson suivi d’une grande chaleur et d’une légère transpiration, enfin un accès de fièvre bien caractérisé. Seulement, pendant la chaleur de la fièvre, mon pouls, au lieu de s’accélérer, diminuait de vitesse d’une façon très marquée et reprenait le nombre de ses pulsations lorsque l’accès était tombé. Je ne pouvais manger rien, quoi que ce soit ; je dépérissais à vue d’œil.

Les bains de mer m’avaient réussi en Angleterre ; j’avais fantaisie d’en essayer ; les médecins y consentirent plus qu’ils ne m’y encouragèrent. Il fallut me porter dans ma voiture ; je fus cinq jours à faire le chemin et j’arrivai à Dieppe mourante. Huit jours après, je me promenais sur le bord de la mer et je repris ma santé avec cette rapidité de la première jeunesse.

Depuis vingt-cinq ans, ma voiture était la seule qui fût entrée à Dieppe ; nous y fîmes un effet prodigieux. Chaque fois que nous sortions il y avait foule pour nous voir passer, et mes équipages surtout étaient examinés avec une curiosité inconcevable. La misère des habitants était affreuse. L’anglais, comme ils l’appelaient, et pour eux c’était pire que le diable, croisait sans cesse devant leur port vide. À peine si un bateau pouvait de temps en temps s’esquiver pour aller à la pêche, toujours au risque d’être pris par l’étranger ou confisqué au retour si les lunettes des vigies l’avaient aperçu s’approchant d’un bâtiment.

Quant aux ressources que Dieppe a trouvées depuis dans la présence des baigneurs, elles n’existaient pas à cette époque. Mon frère me fit arranger une petite charrette couverte ; on me procura à grand’peine et à grand