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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

tous les soins de l’amitié rendus à un cercle assez nombreux.

Tout le monde a fait des hymnes sur son incomparable beauté, son active bienfaisance, sa douce urbanité ; beaucoup de gens l’ont vantée comme très spirituelle. Mais peu de personnes ont su découvrir, à travers la facilité de son commerce habituel, la hauteur de son cœur, l’indépendance de son caractère, l’impartialité de son jugement, la justesse de son esprit. Quelquefois je l’ai vue dominée, je ne l’ai jamais connue influencée. Dans sa première jeunesse, madame Récamier avait pris de la société où elle vivait une façon de minauderie affectée qui nuisait même à sa beauté, mais surtout à son esprit. Elle y renonça bien vite en voyant un autre monde qu’elle était faite pour apprécier. Elle se lia intimement avec madame de Staël, et acquit auprès d’elle l’habitude des conversations fortes et spirituelles où elle tient toute la part qui convient à une femme, c’est-à-dire la curiosité intelligente et qu’elle sait exciter autour d’elle par l’intérêt qu’elle y porte. Ce genre de récréation, le seul que rien ne remplace, quand une fois on y a pris goût, ne se trouve qu’en France, et qu’à Paris. Madame de Staël le disait bien, dans les amères douleurs que lui causait son exil.

L’attrait de madame Récamier pour les notabilités a commencé sa liaison avec monsieur de Chateaubriand. Depuis quinze ans, elle lui a dévoué sa vie. Il le mérite par la grâce de ses procédés ; le mérite-t-il par la profondeur de son sentiment ? c’est ce que je n’oserais affirmer. Toujours est-il qu’elle lui est aussi agréable qu’utile, que toutes ses facultés sont employées à adoucir les violences de son amour-propre, à calmer les amertumes de son caractère, à chercher pâture à sa vanité et distraction à son ennui. Je crois qu’il l’aime autant qu’il peut aimer