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MADAME RÉCAMIER

de son caractère dominait de si haut les habitudes de sa vie que j’en fus extrêmement frappée. De ce moment date l’affection vive que je lui porte et que tous les événements que nous avons traversés ensemble n’ont fait que confirmer.

On a fait bien des portraits de madame Récamier sans qu’aucun, selon moi, ait rendu les véritables traits de son caractère ; cela est d’autant plus excusable qu’elle est très mobile. Madame Récamier est le véritable type de la femme telle qu’elle est sortie de la main du Créateur pour le bonheur de l’homme. Elle en a tous les charmes, toutes les vertus, toutes les inconséquences, toutes les faiblesses. Si elle avait été épouse et mère, sa destinée aurait été complète, le monde aurait moins parlé d’elle et elle aurait été plus heureuse. Ayant manqué cette vocation de la nature, il lui a fallu chercher des compensations dans la société. Madame Récamier est la coquetterie personnifiée ; elle la pousse jusqu’au génie, et se trouve un admirable chef d’une détestable école. Toutes les femmes qui ont voulu l’imiter sont tombées dans l’intrigue et dans le désordre, tandis qu’elle est toujours sortie pure de la fournaise où elle s’amusait à se précipiter. Cela ne tient pas à la froideur de son cœur ; sa coquetterie est fille de la bienveillance et non de la vanité. Elle a bien plus le désir d’être aimée que d’être admirée. Et ce sentiment lui est si naturel qu’elle a toujours un peu d’affection et beaucoup de sympathie à donner à tous ses adorateurs en échange des hommages qu’elle cherche à attirer ; de sorte que sa coquetterie échappe à l’égoïsme qui l’accompagne d’ordinaire et n’est pas positivement aride, si je puis m’exprimer ainsi. Aussi, a-t-elle conservé l’attachement de presque tous les hommes qui ont été amoureux d’elle. Je n’ai vu personne, au reste, si bien allier un sentiment exclusif avec