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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

plus communes, la grande majorité de la noblesse se rattacha à l’Empire, et le mariage de l’archiduchesse acheva d’enlever le reste. On pouvait dès lors compter les femmes qui n’allaient pas à la Cour. Le nombre en était petit et, si les prospérités de l’Empereur avaient continué quelques mois de plus, il aurait été nul.

Mon oncle avait obtenu d’autant plus facilement la radiation de mon père de la liste des émigrés qu’il n’avait pas de biens à réclamer en France. Il vint, avec ma mère et mon frère Rainulphe, me retrouver vers le milieu de 1805. Ils s’établirent chez moi, à Paris et à Beauregard. Je souhaitais fort que mon frère, dont l’existence n’était nullement assurée et dépendait de la mienne, entrât au service. Ma mère s’y opposait ; mon père restait neutre, il savait que sa décision entraînerait celle de son fils et il ne voulait pas l’influencer. Il fut présenté à l’Empereur, qui le traita assez bien, et fort accueilli par l’impératrice Joséphine ; elle désira l’avoir pour écuyer, ou au moins l’attacher en cette qualité à son gendre, le prince Louis.

Mon frère aurait préféré entrer dans l’armée, mais il fallait commencer par être soldat. Les Maisons des princes étaient un moyen d’arriver d’emblée à être officier. On commençait par les suivre à la guerre sans caractère, et, pour peu qu’on se conduisît passablement, on était bien vite promu à un grade. Ma mère pleura, mon frère hésita, on tergiversa, bref la place fut donnée à un autre. Dans l’hiver suivant, Rainulphe se lia intimement avec une belle dame que les aventures de Blaye ont rendue depuis un personnage presque historique. Madame d’Hautefort et sa société étaient dans le dernier degré de l’exaltation contre l’Empire ; mon frère adopta leurs idées et, dès lors, toute pensée de service fut abandonnée.