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LA PRINCESSE DE LA TRÉMOILLE

— Qu’entends-tu par ces paroles ?

— Tout ce que tu voudras. »

On s’interposa entre eux, cela n’eut pas de suite ; mais Lauriston, jusque-là une espèce de favori, fut éloigné de l’Empereur et ne revint à Paris que longtemps après. Je n’affirme pas cette anecdote ; elle fut crue par nous dans le temps mais il n’y a rien de si mal informé que les oppositions. J’ai eu occasion de m’en assurer en vivant intimement depuis avec des gens aux affaires sous le gouvernement impérial. Ils m’ont prouvé l’absurdité d’une quantité de choses que j’avais crues pieusement pendant de longues années. Aussi je ne demande confiance que pour ce que je sais positivement.

Par exemple, j’assistai à une étrange scène chez une madame Dubourg où la société de l’ancien régime se réunissait souvent alors. Monsieur le comte d’Aubusson venait d’être nommé chambellan de l’Empereur. Ces nominations nous déplaisaient fort et nous le témoignions avec des formes plus ou moins acerbes. La princesse de La Trémoille trouva bon de traiter très durement monsieur d’Aubusson avec qui elle était liée et qu’elle voyait habituellement ; il lui demanda ce qu’il avait fait pour mériter ses rigueurs :

« Je pense que vous le savez, monsieur.

— Non, en vérité, madame. J’ai beau consulter mes souvenirs et pourtant je les reprends de haut, car c’est depuis le moment où j’ai dû vous faire expulser des casernes où vous veniez débaucher les soldats de mon régiment. »

La princesse resta pétrifiée d’abord ; ensuite elle eut des attaques de nerfs et des cris de fureurs. Malgré la partialité de l’auditoire, les rieurs furent contre elle. Il était avéré qu’étant princesse de Saint-Maurice, et fort patriote au commencement de la Révolution, elle s’était