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LA PRINCESSE GALITZIN

l’Empereur. Il se rendit au lever. L’Empereur l’écouta avec l’air de l’affliction, puis, prenant la parole :

« Au moins, monsieur l’évêque, avons-nous la consolation qu’il soit mort dans des sentiments chrétiens ? A-t-il reçu les secours de la religion ? »

Mon oncle resta confondu ; il ne sut que balbutier une négative très embarrassée. L’Empereur le regarda sévèrement et tourna brusquement le dos. Les paroles de l’habile comédien ne tombèrent pas à terre ; aucun grand dignitaire ne prêcha plus à l’athéisme, et tous les évêques cherchèrent à obtenir des fins édifiantes des membres de leur famille. Toutefois, il ne voulait pas dégoûter mon oncle et, la première fois qu’il le revit, il le traita fort bien.

Parmi les étrangers de distinction qui se trouvaient à Paris lors de mon arrivée, la princesse Serge Galitzin et la duchesse de Sagan étaient les plus remarquables.

La princesse Serge, jolie, piquante, bizarre, semblait à peine échappée de ses steppes natifs et avait toutes les allures d’un poulain indompté. Elle avait trouvé, dans je ne sais quel vieux château, un portrait en émail dont elle avait la tête tournée ; elle avait repoussé le mari qu’on lui avait donné parce qu’il n’y ressemblait pas ; elle portait ce portrait chéri à son col et courait l’Europe pour en chercher l’original. On m’a raconté que, chemin faisant, elle s’est fréquemment contentée de ressemblances partielles à ce type imaginaire et que, trouvant tantôt les yeux, tantôt la bouche ou le nez de son sylphe, elle a été contrainte à diviser sa passion entre nombreuse compagnie. Lorsque je l’ai connue, elle était encore dans toute la grâce sauvage de sa recherche primitive.

La duchesse de Sagan portait alors le nom de son premier mari, Louis de Rohan ; elle était belle, avait l’air très distinguée, et les façons de la meilleure com-