Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/211

Cette page a été validée par deux contributeurs.
204
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

de la marine, pendant toute la Révolution, il passait pour avoir outrageusement volé durant son ministère ; toutefois, il est mort sans le sol. Quoiqu’il eût été des plus actifs au dix-huit brumaire, il était tombé dans la disgrâce de l’Empereur à la suite d’un séjour à Boulogne. L’Empereur avait voulu faire exécuter, malgré l’amiral, une manœuvre où il avait péri beaucoup de monde ; celui-ci s’en était plaint très fortement. Mais ce qui l’avait perdu c’est un propos tenu dans une réunion des grands dignitaires qui voulaient élever une statue au nouvel empereur. On discutait sur le costume ; l’amiral, impatienté des flagorneries qu’il écoutait depuis deux heures, s’écria :

« Faites-le tout nu ; vous aurez plus de facilité à lui baiser le derrière. »

On était accoutumé à ses boutades, mais celle-ci fut rapportée et déplut extrêmement. On épia une occasion de mécontentement. Sur quelques dépenses un peu hasardées, il fut mandé à Paris, assez mal traité ; la colère se joignit à une maladie de poitrine déjà commencée, et il mourut dans un état de détresse qui allait, malgré tout l’entourage du luxe, jusqu’à manquer d’argent pour acheter du bois. Il faut rendre justice à qui il appartient : Ouvrard lui devait une grande partie de sa fortune ; apprenant sa position, il envoya la veille de sa mort cinq cents louis en or à madame de Bruix. Ce n’était sûrement pas la centième partie de ce que l’amiral lui avait laissé gagner, mais il était mourant et disgracié et ce trait fait honneur à Ouvrard.

L’amiral de Bruix professait l’athéisme comme un philosophe du dix-huitième siècle ; sa femme, dans les mêmes principes, n’avait pas voulu laisser approcher un prêtre ; il mourut dans la nuit. Mon oncle, l’évêque de Nancy, fut chargé par la veuve d’en porter la nouvelle à