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L’AMIRAL DE BRUIX

d’instants après, je la suivis. On me demanda comment je trouvais madame Récamier :

« Charmante, je la suis pour la voir danser.

— Celle-là ? mais c’est mademoiselle de La Vauguyon ; madame Récamier est assise dans la fenêtre, là, avec cette robe grise. »

Lorsqu’on me l’eut indiquée, je vis en effet qu’une figure qui m’avait peu frappée était parfaitement belle. C’était le caractère définitif de cette beauté, qu’on peut appeler fameuse, de le paraître toujours davantage chaque fois qu’on la voyait. Elle se retrouvera probablement sous ma plume ; notre liaison a commencé bientôt après et dure encore très intime.

Mon oncle, l’évêque de Comminges, devenu évêque de Nancy, était alors à Paris. Il aurait fort désiré que j’entrasse dans la Maison de l’impératrice qu’on formait en ce moment, et me faisait valoir la liberté qu’une place à la Cour me donnerait vis-à-vis de monsieur de Boigne. En outre que cela répugnait à mes opinions, mes goûts m’ont toujours éloignée de la servitude, de quelque nature qu’elle puisse être ; je n’aimerais pas à être attachée à une princesse en aucun temps et sous aucun régime. Il revint plusieurs fois à la charge sans succès. À la manière dont il m’en parlait, comme d’une chose qui n’attendait que mon approbation, je crois qu’il en avait mission, mais je n’en ai jamais éprouvé de désagrément. Quoi qu’on ait pu dire, lorsque les refus se faisaient convenablement, modestement et sans éclat, ils n’avaient point de suite fâcheuse ; il n’y a guère eu de forcés que ceux qui ont voulu l’être.

Nous perdîmes dans ce temps un de nos cousins, l’amiral de Bruix. C’était un homme dont l’esprit et le talent valaient mieux que la moralité. Il avait joué un grand rôle sous le Directoire, et soutenu, seul, l’honneur