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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

impatience que le porteur de cette bonne nouvelle pouvait aspirer à toutes sortes de faveurs. En conséquence, il ajouta, par post-scriptum à sa lettre, la demande de la croix de Saint-Louis en outre de la nomination de capitaine de haut bord pour le chevalier d’Osmond. Mon grand-père lui parla d’un vaisseau dont le capitaine devait être changé :

« Ce vaisseau vous plaît-il ?

— Assurément.

— Eh bien, je vous en donne le commandement. Je vais écrire à Maurepas que j’en fais une condition. »

Du reste, le duc de Modène était entouré d’une Cour et d’une Maison qu’il avait amenées avec lui : grand chambellan, grand écuyer, valet de chambre, etc. Toute la colonie, depuis le gouverneur jusqu’au moindre nègre, était à ses ordres ; et mon grand-père, qui avait commencé par être fort incrédule au moment de son arrivée, finit par être convaincu qu’un homme qui donnait des grades et des croix était un véritable souverain. Il partit, forçant de voiles au risque de se noyer, fit une traversée extrêmement rapide, se jeta dans un canot dès qu’il vit la terre, monta un bidet de poste et arriva sans un moment de repos chez monsieur de Maurepas, à Versailles. Trouvant le ministre sorti, il ne voulut pas quitter l’hôtel sans l’avoir vu : on le plaça dans un cabinet pour attendre. Un vieux valet de chambre, intéressé par son agitation et sa charmante figure, lui fit donner quelque chose à manger ; il dévora, puis la fatigue et la jeunesse l’emportèrent, il s’assit dans un fauteuil et s’endormit profondément.

Le ministre rentra. Personne ne songea au chevalier d’Osmond. En déshabillant son maître le soir, le valet de chambre lui parla de ce jeune officier de marine si empressé de le voir. Monsieur de Maurepas n’en avait