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LE DUC DE LAVAL

pas par l’idée, mais par l’expression. Ainsi il parlait d’être fouetté aux quatre coins de la cour ovale ; il était monté à cheval pour arriver currente calamo ; il recevait une lettre anonyme, signée de tous les officiers de son régiment, et tant d’autres bévues rapportées partout. Voici une de ses plus jolies erreurs et des moins connues. On discutait à quel point Zeuxis et Apelle étaient contemporains ; le duc de Laval, assis à souper à côté du duc de Lauzun, lui dit :

« Lauzun, qu’est-ce que c’est que ça, contemporain ?

— Des gens qui vivent en même temps : toi et moi, nous sommes contemporains.

— Allons donc, tu te fiches de moi ! est-ce que je suis peintre, moi ? »

Dans la société intime, le duc de Lauzun passait pour arranger les histoires du duc de Laval avec lequel il était très lié. Un jour, il voulut le trouver mauvais ; le duc de Lauzun lui répondit :

« Tu te fâches, Laval, hé bien, c’est bon, je ne t’en ferai plus et tu verras ce que tu y perdras. »

Il avait raison, car les mots du duc de Laval lui donnaient une sorte de célébrité. On a comparé son esprit a une lanterne sourde qui n’éclairait qu’en dedans ; cela est assez ingénieux car, s’il a dit beaucoup de balourdises, il n’a jamais fait une sottise.

Son fils aîné, Adrien, devenu depuis duc de Laval, est un homme de bonne compagnie. Son nom, plus que son mérite, l’a poussé pendant la Restauration à des emplois où il n’a pas montré suffisamment de capacité, mais il est pourtant fort au-dessus de la réputation de nullité qu’on a voulu lui faire. Le désir de prolonger les goûts de la jeunesse au delà du terme raisonnable l’a exposé à quelques ridicules. Il a eu le malheur de perdre son fils unique, le dernier de cette