gouvernement, je l’ai trouvée une plaie encore toute saignante à mon retour en France.
J’arrivai sans autre incident au château de Beauregard, ayant tourné Paris. Monsieur de Boigne n’était pas encore de retour de Savoie ; je m’y installai comme seule maîtresse de ce beau lieu. J’y pleurai bien à mon aise pour en prendre possession, le 2 novembre 1804, jour des Morts, par un brouillard froid et pénétrant qui ne permettait pas de voir à trois pieds devant soi. Je me trouvai le soir enfermée dans une pièce dont mes mains, accoutumées aux serrures anglaises, ne savaient pas ouvrir les portes, et sans sonnettes. Elles avaient été proscrites comme aristocrates pendant la Révolution, et monsieur de Boigne n’avait pas songé à en faire remettre. J’éprouvai un sentiment d’abandon et de désolation qui me glaça jusqu’au fond de l’âme, et je ne pense pas que je me fusse crue dans un pays plus sauvage sur les bords de la Colombia.
Le lendemain matin, j’envoyai chercher un serrurier. Il m’assura qu’il allait arranger provisoirement une sonnette en attendant qu’elle pût être organisée définitivement. Quel diantre de pays est donc cela où les serruriers parlent la langue de l’Athénée et où les chevaux sont attelés avec des ficelles ? Ma pauvre cervelle de vingt ans, livrée pour la première fois à ses propres forces, était toute renversée par la diversité des impressions que je recevais ; aussi, j’ai conservé une multitude de souvenirs très vifs de ce voyage.