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MONSIEUR MALOUET

leur naïveté. Il m’en donna une nouvelle preuve le lendemain matin. Il m’accompagna à la cathédrale d’Anvers et, malgré toutes mes supplications, il monta jusqu’au haut du clocher toujours à reculons, en me donnant la main, ce qui n’était pas plus commode pour moi que pour lui. Il exerçait alors une petite place dans les droits réunis dont il faisait vivre sa mère. Depuis, il est devenu préfet, pair, enfin ministre. Il est homme de talent, de cœur et très honnête ; mais son esprit est presque aussi gauche que ses manières.

Monsieur d’Herbouville vint après ; je le trouvai froid et emprunté ; il avait récemment été fort compromis par la reconnaissance bavarde de quelques émigrés auxquels il avait rendu service, et se tenait sur la réserve. Il m’engagea à dîner.

La meilleure de mes visites fut celle de monsieur Malouet, vieil ami de mon père et préfet maritime à Anvers. Monsieur Malouet, qui avait été un constitutionnel de 89, terme de réprobation, s’il en fut, dans l’émigration, n’en était pas moins resté fort lié avec mon père et je le voyais perpétuellement chez lui. Il n’y avait pas bien longtemps qu’il avait quitté Londres et il ne savait pas trop comment je verrais un préfet de la République ou plutôt du Consulat. Rassuré à cet égard par la joie que j’éprouvai à trouver un visage de connaissance pour la première fois depuis un mois, il me fit signe de me taire, alla ouvrir toutes les portes, examina bien s’il n’y avait personne aux écoutes, les referma soigneusement, m’avança une chaise au milieu de la chambre, en prit une à côté de moi et puis me demanda à voix bien basse des nouvelles de mon excellent père, ajoutant :

« Voyez-vous, mon enfant, il ne faut pas se compromettre. »