Je les repris, un peu honteuse. Enfin tout semblait terminé à ma plus grande satisfaction lorsqu’ils s’avisèrent que le fouet de mon courrier était anglais. Ils me montrèrent London écrit sur le bout d’argent dont il était orné ; sans doute je l’avais acheté dans quelque endroit où les marchandises anglaises étaient admises, mais, en France, elles étaient prohibées et leur devoir ne leur permettait d’en laisser passer aucune. Nous gardâmes tous notre sérieux à cette dernière scène du proverbe. Ils me souhaitèrent un bon voyage et je partis très étonnée d’avoir trouvé une si obligeante et si spirituelle urbanité là où je ne m’attendais qu’à des procédés grossiers jusqu’à la brutalité. Je suis entrée dans ces détails pour montrer jusqu’à quel point les émigrés, qui avaient le droit de se croire les plus raisonnables, étaient encore absurdes dans leurs idées sur la France et, au fond, lui étaient hostiles.
Arrivée à Anvers, je trouvai à l’auberge un billet de monsieur d’Herbouville, alors préfet, qui m’annonçait avoir mes passeports. J’étais proche parente de sa femme ; il avait donné l’ordre de le prévenir du moment où je serais à Anvers. J’étais à peine établie dans ma chambre d’auberge que j’y vis entrer un grand dadais de cinq pieds dix pouces répétant au plus pointu d’une voix de fausset bien aiguë :
« Apollinaire, c’est Apollinaire, je suis Apollinaire, » et faisant à coudes ouverts des révérences jusqu’à terre.
Je fus quelques instants à reconnaître le jeune d’Argout que j’avais beaucoup vu quelques année avant à Londres où son oncle (qui était aussi le mien, ayant épousé une sœur de mon père) s’occupait de son éducation avec un soin auquel il a répondu. C’est lui qui, depuis, s’est élevé par un mérite incontestable accompagné d’une disgrâce et d’une gaucherie qu’il déployait alors dans toute