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SÉJOUR À LA HAYE

Malgré sa perspicacité commerciale, il n’avait pas prévu qu’il se trouverait une main assez ferme pour maintenir pendant des années cette machine hydraulique qu’il déclarait impossible pour une semaine. À la vérité, elle a fini par faire explosion.

Aussitôt que ma voiture put être préparée, je me rendis à la Haye. J’écrivis à monsieur de Sémonville pour lui demander un rendez-vous ; il envoya sur-le-champ monsieur de Canouville me dire qu’il allait venir chez moi. Les façons de monsieur de Canouville m’effarouchèrent un peu. Sous prétexte qu’il était mon cousin et peut-être aussi parce que j’étais jeune, jolie et seule, il prit un petit ton de plaisanterie et de légèreté qui, par les mêmes raisons, me déplurent extrêmement ; et je gravai sur mon agenda que tous les jeunes gens de la France révolutionnaire étaient familiers, avantageux, ridicules et impertinents. Je m’y attendais bien ; j’allais sûrement trouver monsieur de Sémonville impérieux, arrogant, insolent et alors toutes mes sages prévoyances de vingt ans seraient accomplies.

Monsieur de Sémonville arriva ; il était dans la douleur. La maladie de madame Macdonald avait appelé madame de Sémonville à Paris et, la veille, on avait reçu nouvelle de la mort de la jeune femme. Monsieur de Sémonville me témoigna le regret de ne pouvoir chercher à me rendre agréable une maison remplie de deuil. Tout-puissant en Hollande, son pouvoir ne s’étendait pas au delà ; il ne pouvait me donner des passeports que jusqu’à Anvers où il me faudrait en attendre de Paris. Il m’engageait à rester à la Haye de préférence, se mettant au reste de sa personne tout à fait à mes ordres. La conversation se prolongea, il me parla de Monsieur ; je pensai qu’il entendait par là Louis XVIII et je répondis que le Roi n’était pas en Angleterre,