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DUEL

devait danser au bal suivant. Tout à coup, il pâlit et s’évanouit à plat. On le plaça sur un sopha, et la Reine eut l’imprudence de poser sa main sur son cœur pour sentir s’il battait. Édouard revint à lui. Il s’excusa fort de sa sotte indisposition et avoua que, pour ne pas manquer à l’heure donnée par la Reine, il était parti de Paris sans déjeuner, que, depuis les longues souffrances d’une blessure reçue à la prise de Grenade, ces sortes de défaillances lui prenaient quelquefois, surtout quand il était à jeun. La Reine lui fit donner un bouillon, et les courtisans, jaloux de ce léger succès, établirent qu’il était au mieux avec elle.

Ce bruit tomba vite à la Cour, mais fut confirmé à la ville lorsque, le jour de la Saint-Hubert, on le vit traverser Paris dans le carrosse à huit chevaux de la Reine. Il était tombé de cheval et s’était recassé le bras à la chasse. La voiture de la Reine était seule présente ; elle ordonna qu’on y transportât mon oncle et revint, comme de coutume, dans celle du Roi, car la sienne n’y était que d’étiquette. Il est très probable que beaucoup des histoires qu’on a faites sur le compte de la pauvre Reine n’avaient pas des fondements plus graves.

Mon oncle avait eu un duel qui avait fait une sorte de bruit. Soupant chez un des ministres, un provincial dont j’oublie le nom, lui dit à travers la table :

« Monsieur Dillon, je vous demanderai de ces petits pots, à quoi sont-ils ? »

Édouard, qui causait avec sa voisine, répondit sèchement :

« À l’avoine.

– Je vous renverrai de la paille », reprit l’autre qui ignorait que les petits pots à l’avoine étaient un mets à la mode.

Édouard n’interrompit pas sa causerie ; mais, après