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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

avaient fait mourir de chagrin. Ces mêmes folies avaient jeté la fille aînée dans les bras de l’apothicaire du village voisin du château de lord Stanhope. Monsieur Pitt, pour éviter le même sort à lady Hester, l’avait prise chez lui. Elle faisait les honneurs de la très mauvaise maison que le peu de fortune avec laquelle il s’était retiré des affaires lui permettait de tenir ; et, dans ce moment d’oisiveté, il s’était établi le chaperon de sa nièce, restant avec une complaisance infinie jusqu’à quatre et cinq heures du matin à des bals où il s’ennuyait à la mort. Je l’y ai souvent vu, assis dans un coin, et attendant avec une patience exemplaire qu’il convînt à lady Hester de terminer son supplice.

Je ne parlerai pas de ce qui a décidé lady Hester à s’expatrier. J’ai entendu dire que c’était la mort du général Moore, tué à la bataille de la Corogne ; mais cela s’est passé après mon départ, et je ne raconte que ce que j’ai vu ou crois savoir d’une manière positive. À l’époque dont je parle, lady Hester était une belle fille d’une vingtaine d’années, grande, bien faite, aimant le monde, le bal, les succès de toute espèce, pas mal coquette, ayant le maintien fort décidé, et une bizarrerie assez piquante dans les idées. Cela ne passait pas pourtant les bornes de ce qu’on appelle de l’originalité. Pour une Stanhope (ils sont tous fous), elle était la sagesse même.

J’ai fait dans ce même temps bien souvent de la musique avec madame Grassini. C’est la première chanteuse qui ait été reçue à Londres précisément comme une personne de la société. Elle ajoutait à un grand talent une extrême beauté ; beaucoup d’esprit naturel lui servait à adopter le maintien sortable à tous les lieux où elle se trouvait. Le duc d’Hamilton la fit entrer dans l’intimité de ses sœurs. Le comte de Fonchal, ambassadeur de Portugal,