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LADY HESTER STANHOPE

« Comme on est heureux pourtant d’être beau prince comme cela ; ça fait la moitié de la besogne. »

C’était une plaisanterie, mais au fond, il avait raison. Certainement, à cette époque, monsieur le comte d’Artois était l’idéal du prince, plus peut-être que dans sa grande jeunesse. Il n’allait guère alors dans la société française. Il recevait les hommes de temps en temps, et donnait quelques dîners. Le jour de l’An, le jour de la Saint-Louis, de la Saint-Charles, les femmes s’y faisaient écrire. Il renvoyait des cartes à toutes et faisait en personne des visites à celles qu’il connaissait. Je l’ai vu ainsi trois ou quatre fois chez ma mère, mais fort à distance. Nous n’allions pas chez madame de Polastron et cela ne se pardonnait guère.

J’ai parlé du salon de lady Harington. C’était le seul où on se réunît fréquemment, non pas tout à fait sans y être invité, mais d’une manière plus sociable que les raouts ordinaires. Lady Harington faisait trente visites dans la matinée, et laissait à la porte des femmes l’engagement à venir le soir chez elle. Chemin faisant, elle traversait plusieurs fois Bond Street, et y ramassait les hommes qui s’y promenaient. Cette manœuvre se renouvelait trois à quatre fois par semaine, et le fond de la société, étant toujours le même, finissait par former une coterie. Mon instinct de sociabilité française me poussait à y donner la préférence sur les grandes assemblées que je trouvais dans d’autres maisons. Lady Harington me comblait de prévenances et je me plaisais fort chez elle.

C’est là où je m’étais assez liée avec lady Hester Stanhope qui, depuis, a joué un rôle si bizarre en Orient. Elle débutait à cette célébrité par une originalité assez piquante. Lady Hester était fille de la sœur de monsieur Pitt que les bizarres folies de son mari, lord Stanhope,