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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

plusieurs heures, le fit confesser et, le lendemain, lui donna la communion. Depuis ce moment, il le domina au point qu’en le regardant seulement, il le faisait changer de conversation.

Il avait cessé de manger avec les valets de chambre depuis le départ d’Édimbourg ; mais ce fut alors seulement qu’il prit place à la table du prince dont le ton changea complètement. De très libre qu’il avait été, il devint d’un rigorisme extrême ; et monsieur de Rivière, qui s’en abstenait par scrupule, y revint et y tint le premier rang. Monsieur le comte d’Artois, toujours un peu embarrassé de son changement, lui savait un gré infini d’avoir été son précurseur et d’être entré par la même porte dans la voie qu’ils suivaient avec la même ferveur.

Avant que la maladie de madame de Polastron absorbât entièrement monsieur le comte d’Artois, il allait quelquefois dans le monde. Je l’y rencontrais, surtout chez lady Harington où je passais ma vie. Il s’y trouvait souvent avec le prince de Galles, et, malgré la différence de leur position, c’était le prince français qui avait tout l’avantage. Il était si gracieux, si noble, si poli, si grand seigneur, si naturellement placé le premier sans y songer que le prince de Galles n’avait l’air que de sa caricature. En l’absence de l’autre, on ne pouvait lui refuser de belles manières ; mais c’étaient des manières, et, en monsieur le comte d’Artois, c’était la nature même du prince. Sa figure aussi, moins belle peut-être que celle de l’anglais, avait plus de grâce et de dignité ; et la tournure, le costume, la façon d’entrer, de sortir, tout cela était incomparable.

Je me rappelle qu’une fois où monsieur le comte d’Artois venait d’arriver et faisait sa révérence à lady Harington, monsieur le duc de Berry, qui se trouvait à côté de moi, me dit :