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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Madame de Guiche, assistée de l’abbé Latil, fit une fin exemplaire. Madame de Polastron, témoin de la mort de sa cousine, en fut profondément touchée et dès lors remit son cœur et sa conscience entre les mains de l’abbé Latil ; c’était encore secrètement. Monsieur le comte d’Artois n’était pas dans cette confidence et même, tout en regrettant la duchesse de Guiche, il se moquait des momeries, disait-il, qui avaient accompagné sa fin et des patenôtres de Rivière.

Tel était l’intérieur du prince lorsqu’il arriva à Londres. L’état de madame de Polastron, attaquée de la poitrine, empira. Elle se livra à toutes les fantaisies dispendieuses qui accompagnent cette maladie. Les revenus ne suffisant pas, monsieur du Theil, intendant de monsieur le comte d’Artois, inventa une façon d’augmenter les fonds. Il arrivait fréquemment des émissaires de France. On choisissait un des projets les plus spécieux ; on annonçait un mouvement prochain, en Vendée ou en Bretagne, à l’aide duquel on obtenait quelques milliers de livres sterling du gouvernement anglais. On en donnait deux ou trois cents à un pauvre diable qui allait se faire fusiller sur la côte, et les fantaisies de madame de Polastron dévoraient le reste. Je ne sais pas si le prince entrait dans ces tripotages ; mais, du moins, il les tolérait et n’a pu les ignorer, car cette manœuvre s’étant répétée jusqu’à trois fois en peu de mois, monsieur Windham la découvrit et s’en expliqua vivement avec lui. C’est par monsieur Windham lui-même que j’en ai eu directement connaissance. Au reste, ce n’était pas un secret. Les émigrés, en Angleterre, s’étaient accoutumés à regarder l’argent anglais comme de légitime prise, par tous les moyens.

Madame de Polastron s’éteignait graduellement. Monsieur le comte d’Artois passait sa journée seul avec elle.