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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

nels. Monsieur le duc de Berry était le seul des princes de sa Maison qui éprouvât cet amour de la patrie. Seul aussi il avait le goût des arts qu’il cultivait avec assez de succès. Malgré ses travers, il était honnête homme. Je crois qu’il aurait été un souverain très dangereux, mais pourtant il était de toute sa famille le plus capable de générosité. J’ai répugnance à le dire, mais je crains qu’il ne fût pas brave. Je ne le conçois pas, car cette qualité semblait faite exprès pour lui, et il lui échappait sans cesse des expressions et des sentiments que n’aurait pas désavoués Henri iv. Si donc il a montré de la faiblesse, ce qui n’est guère douteux, il faut que ce soit le résultat de la déplorable éducation de nos princes. Toutefois, son frère, moins distingué que lui sous tous les autres rapports, a échappé à cette triste fatalité.

Le bill sur les dettes faites à l’étranger étant passé, et monsieur le comte d’Artois s’ennuyant à Édimbourg autant que ses entours, il revint s’établir à Londres. Mais il s’était passé de grands changements autour de lui pendant le dernier séjour en Écosse. Monsieur le comte d’Artois était, depuis bien des années, très attaché à madame de Polastron. Elle l’aimait passionnément, mais non pas pour sa gloire ; et c’est à l’influence exercée par elle qu’il faut en partie attribuer le rôle peu honorable que le prince a joué pendant le cours de la Révolution. Publiquement établie chez lui, cette liaison était tellement affichée qu’elle avait cessé de faire scandale.

Lors de son arrivée à Holyrood, monsieur le comte d’Artois, qui n’était rien moins que religieux, fut très importuné du zèle avec lequel les catholiques d’Ecosse se mettaient en frais de lui procurer des messes et des offices. À je ne sais quelle grande fête, il fut obligé, par leurs prévenances, de faire une vingtaine de milles pour passer cinq ou six heures à la chapelle d’un grand sei-