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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

nelle. Mon frère avait une très belle voix. Nous faisions beaucoup de musique.

Il s’y réunissait souvent d’autres amateurs, au nombre desquels je ne dois pas négliger de nommer monsieur le duc de Berry. Il était établi à Londres où il menait une vie bien peu digne de son rang et encore moins de ses malheurs. Sa société la plus habituelle était celle de quelques femmes créoles. Il s’y permettait des inconvenances qu’on lui rendait en familiarités. Du moins ceci se passait entre français ; mais il s’était engoué d’une mauvaise fille anglaise qu’il menait aux courses dans sa propre voiture, qu’il accompagnait au parterre de l’Opéra où il siégeait à côté d’elle.

Quelquefois, quand la foule le bousculait par trop, il lui prenait un accès de vergogne et il venait se réfugier dans ma loge ou dans quelque autre. Mais nous entendions à la sortie la demoiselle qui appelait « Berry, Berry », pour faire avancer leur voiture.

Monsieur le duc de Berry était souvent déplacé dans ses discours aussi bien que dans ses actions, et se livrait à des accès d’emportement où il n’était plus maître de lui. Voilà le mal qu’il y a à en dire. Avec combien de joie je montrerai le revers de la médaille.

Monsieur le duc de Berry avait beaucoup d’esprit naturel, il était aimable, gai, bon enfant. Il contait d’une manière charmante : c’était un véritable talent, il le savait et, quoique prince, il attendait naturellement des occasions sans les chercher. Son cœur était excellent : il était libéral, généreux, et pourtant rangé. Avec un revenu fort médiocre, qu’il recevait du gouvernement anglais, et des goûts dispendieux, il n’a jamais fait un sol de dettes. Tant qu’il avait de l’argent, sa bourse était ouverte aux malheureux aussi largement qu’à ses propres fantaisies ; mais, lorsqu’elle était épuisée, il se pri-