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DÉPART DE MONSIEUR DE BOIGNE

pression anglaise, sans qu’au fond lord Exeter eût eu de mauvais procédés, mais seulement par la force des choses. Tant il est vrai qu’on ne brave pas impunément les lois et les usages imposés par la société aux différentes classes qui la composent.

Peu de temps après mon retour à Londres, monsieur de Boigne m’apprit qu’il avait vendu la maison que nous habitions, et il m’emmena dans un hôtel garni. Il m’annonça son intention de quitter l’Angleterre et de m’y laisser chez mes parents.

Au fond, cela me convenait, mais pourtant j’étais désolée de devenir une troisième fois la fable du public. Il était parti l’hiver précédent un jour de concert où nous avions cinq cents personnes invitées ; cela avait été raconté et commenté dans toutes les gazettes aussi bien que dans tous les salons. Je n’avais plus la confiance de croire à la bienveillance générale, et je sentais combien ma position serait difficile. Aussi, quoiqu’il m’en coûtât, j’offris de le suivre. Il s’y refusa positivement, mais, cette fois, nous nous séparâmes sans être brouillés et en conservant une correspondance.

Il me laissa dans une situation de fortune très modeste, mais suffisante pour vivre décemment dans le monde où j’étais reçue. Il eut même le bon procédé de me donner un ordre illimité sur son banquier, en m’indiquant seulement la somme que je ne devais pas excéder et que je n’ai jamais dépassée.

Cette phase de ma vie dura deux années qui ont été les plus tranquilles dont je conserve le souvenir. Je menais modérément la vie du monde ; j’avais un intérieur doux où j’étais adorée. Mon père était dans toute la force de son intelligence et de sa santé, et s’occupait continuellement de mon frère et de moi. Nous avions repris nos lectures et nos études et menions une vie très ration-