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VOYAGE EN ALLEMAGNE

plus tard entre ses mains des morceaux d’éloquence contre moi, des preuves de vils services offerts. Il avait eu soin de conserver le nom des personnes, les sommes demandées et payées. Ces noms étaient de nature à réjouir son orgueil plébéien, et c’était encore une taquinerie qu’il exerçait en me les montrant.

L’impossibilité d’amener monsieur de Boigne à faire aucun arrangement qui m’assurât un peu de tranquillité, ses promesses de changer de conduite à mon égard, le chagrin que j’éprouvai de l’injustice du public qui, trompé par des agents à ses gages, me donnait tous les torts me décidèrent à le rejoindre au bout de trois mois.

Je n’entrerai plus dans aucun détail sur mon ménage. Il suffit de savoir que, désespéré et croyant m’adorer lorsque nous étions séparés, ennuyé de moi et me prenant en haine lorsque nous étions réunis, il m’a quittée pour toujours cinq ou six fois. Toutes ces séparations étaient accompagnées de scènes qui ont empoisonné ma jeunesse, si mal employée que je l’ai traversée sans m’en douter et l’ai trouvée derrière moi sans en avoir joui.

Nous fîmes, cette année 1800, un voyage en Allemagne. Je passai un mois à Hambourg où l’émigration régnait sous le sceptre de madame de Vaudémont. Quelque niaisement innocente que je fusse encore, les scandales de cette coterie étaient tellement saillants que je ne pouvais m’empêcher de les voir, et j’en fus révoltée. Je le fus aussi du relâchement des idées royalistes. Altona était comme une espèce de purgatoire où les personnes qui méditaient de rentrer en France venaient se préparer à l’abjuration de leurs principes exclusifs. Accoutumée à un autre langage, il me semblait entendre des hérésies. À la vérité, j’allai de là à Munich, peuplé alors des restes de l’armée de Condé, et j’y trouvai l’exagération poussée à un point d’extravagance qui me confondit dans un autre