Né dans la plus petite bourgeoisie, il avait été longtemps soldat. J’ignore encore par quelle route il avait cheminé de la légion irlandaise au service de France jusque sur l’éléphant d’où il commandait une armée de trente mille cipayes, formée par ses soins pour le service de Sindiah, chef des princes mahrattes auxquels cette force, organisée à l’européenne, avait assuré la domination du nord de l’Inde.
Monsieur de Boigne avait dû employer beaucoup d’habileté et de ruses pour quitter le pays en emportant une faible partie des richesses qu’il y possédait et qui pourtant s’élevait à dix millions. La rapidité avec laquelle il avait passé de la situation la plus subalterne à celle de commandant, de la détresse à une immense fortune, ne lui avait jamais fait éprouver le frottement de la société dont tous les rouages l’étonnaient. La maladie dont il sortait l’avait forcé à un usage immodéré de l’opium qui avait paralysé en lui les facultés morales et physiques.
Un long séjour dans l’Inde lui avait fait ajouter toutes les jalousies orientales à celles qui se seraient naturellement formées dans l’esprit d’un homme de son âge ; mais, par-dessus tout, il était doué du caractère le plus complètement désobligeant que Dieu ait jamais accordé à un mortel. Il avait le besoin de déplaire comme d’autres ont celui de plaire. Il voulait faire sentir la suprématie qu’il attachait à sa grande fortune et il ne pensait jamais l’exercer que lorsqu’il trouvait le moyen de blesser quelqu’un. Il insultait ses valets ; il offensait ses convives ; à plus forte raison sa femme était-elle victime de cette triste disposition. Et, quoiqu’il fût honnête homme, loyal en affaires, qu’il eût même dans ses formes grossières une certaine apparence de bonhomie, cependant cette disposition à la désobligeance, exploitée avec toute l’aristocratie de l’argent, la plus hostile de toutes, rendait son