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LE BARON DE VAUDREUIL

despote de la toute-puissante duchesse de Polignac, était devenu le mari soumis d’une jeune femme, sa cousine, qu’il avait épousée depuis l’émigration et dont la conduite peu mesurée aurait pu épuiser sa patience, s’il s’en était aperçu.

J’ai beaucoup vu le comte de Vaudreuil à Londres, sans avoir jamais découvert la distinction dont ses contemporains lui ont fait honneur. Il avait été le coryphée de cette école d’exagération qui régnait avant la Révolution, se passionnant pour toutes les petites choses et restant froide devant les grandes. À l’aide de l’argent qu’il puisait au trésor royal, il s’était fait le Mécène de quelques tous petits Virgiles qui le louaient en couplets. Chez madame Lebrun, il se pâmait devant un tableau, et protégeait les artistes. Il vivait familièrement avec eux et gardait ses grands airs pour le salon de madame de Polignac, et son ingratitude pour la Reine dont je l’ai entendu parler avec la dernière inconvenance. En émigration et devenu vieux, il ne lui restait plus que le ridicule de toutes ses prétentions et l’inconsidération de voir les amants de sa femme fournir à l’entretien de sa maison par des cadeaux qu’elle était censée gagner à la loterie.

Ce n’était pas dans sa propre famille que madame de Vaudreuil aurait acquis les habitudes d’une grande délicatesse. Sa mère, vieille provençale, ne manquait pas d’une espèce d’habileté, ne lui en donnait pas l’exemple. En voici un trait entre mille.

Pendant la campagne des Princes, un homme de ses amis, partant pour l’armée, lui remit une bourse contenant deux cents louis.

« Si je vis, lui dit-il, je vous les redemanderai. Si je meurs, je vous prie de les remettre à mon frère. »

L’ami revint sain et sauf. Son premier soin dut d’accourir chez madame de Vaudreuil. Elle ne lui parla pas