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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

rations dérivant de la folie de se croire eux-mêmes des êtres à part dont la conservation est le premier besoin de chacun ? Je suis persuadée que c’est très consciencieusement que monsieur le comte d’Artois représentait à monsieur de Frotté l’impossibilité de hasarder la sûreté de Monseigneur, et que cet argument lui paraissait péremptoire pour tout le monde.

Quand nous disons aux princes que nous sommes trop heureux de mourir pour leur service, cela nous paraît une forme, comme le « très humble serviteur » au bas d’une lettre ; mais eux le prennent fort au sérieux et trouvent qu’en effet c’est un véritable bonheur. Est-ce tout à fait leur faute ? Non, en conscience ; c’est celle de tout ce qui les approche, dans tous les temps et sous tous les régimes.

Aucune des personnes qui entouraient monsieur le comte d’Artois ne se souciait d’une expédition aventureuse dont les chances, bien incertaines devaient amener des fatigues et des privations assurées. Le baron de Roll était, de plus, dans cette circonstance, l’organe de madame de Polastron. Sa tendresse réelle et mal entendue pour monsieur le comte d’Artois ne lui inspirait des craintes que pour sa sûreté et jamais pour sa gloire.

L’évêque d’Arras, arrogant et violent, tranchant du premier ministre et tout occupé des intrigues qu’il tramait contre la cour de Louis XVIII (car les deux frères étaient en hostilité ouverte et leurs agents cherchaient partout à se déjouer mutuellement), l’évêque d’Arras aurait craint par-dessus tout une entreprise qui aurait nécessairement retiré l’influence de ses mains pour la donner aux militaires, d’autant qu’alors le prince était fort éloigné de toute prédilection pour les prêtres. À la vérité, l’évêque d’Arras ne l’était guère.

Monsieur de Vaudreuil, que nous avons vu l’amant