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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

assez souvent. Sa négociation traînait en longueur, on l’amusait de bonnes paroles ; enfin, il exigea une réponse catégorique, en annonçant la nécessité de son départ.

Je le vis arriver chez ma mère, comme un homme désespéré. Son indignation était au comble ; voici qu’il nous raconta :

Monsieur le comte d’Artois l’avait reçu, entouré de ce qu’il appelait son conseil, l’évêque d’Arras, le comte de Vaudreuil, le baron de Roll, le chevalier de Puységur, monsieur du Theil et quelques autres, car ils étaient huit ou dix (notez bien que la tête de monsieur de Frotté, qui partait le lendemain, dépendait du secret). Monsieur de Frotté rapporta l’état de la Vendée et les espérances qu’elle présentait. Chacun fit ses objections ; il y répondit. On concéda que la présence de monsieur le comte d’Artois était nécessaire au succès. Vinrent ensuite les difficultés du voyage. Il les leva. Puis combien Monseigneur aurait-il de valets de chambre, de cuisiniers, de chirurgiens, etc., etc. (il n’était pas encore question d’aumôniers à cette époque). Tout fut débattu et convenu. Monsieur le comte d’Artois était assez passif dans cette discussion et paraissait disposé à partir. Monsieur de Frotté dit en terminant :

« Je puis donc avertir mon frère que Monseigneur sera sur la côte à telle époque.

— Permettez, un moment, dit le baron de Roll avec son accent allemand, permettez, je suis capitaine des gardes de monsieur le comte d’Artois et, par conséquent, responsable vis-à-vis du Roi de la sûreté de Monseigneur. Monsieur de Frotté répond-il que Monseigneur n’a aucun risque à courir ?

— Je réponds que nous serons cent mille à nous faire tuer avant qu’il tombe un cheveu de sa tête. Je ne puis répondre de plus.