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LES PRÊTRES FRANÇAIS

Chaque famille bourgeoise avait fini par avoir son abbé français de prédilection qui apprenait sa langue aux enfants et souvent assistait les parents dans leurs travaux.

Réunis par chambrée, quelques-uns de ces bonnes gens s’étaient fait de petites industries à l’aide desquelles ils vivaient et venaient au secours des plus vieux ou des infirmes. Malgré le désir qu’ils auraient peut-être eu d’exercer le prosélytisme, ils ont été assez sages pour qu’aucune réclamation ne s’élevât à cet égard, et je n’ai pas souvenance qu’il y ait eu aucun genre de plainte portée contre un prêtre pendant tout le temps qu’a duré leur exil.

Cette conduite leur avait attiré une vénération dont on a vu des résultats touchants. Par exemple, ceux qui étaient chargés d’approvisionner leurs petites colonies se rendaient le vendredi à Billingsgute, leur schelling à la main, et c’était à qui des vendeurs de poisson remplirait leur panier. Ils avaient la délicatesse, remarquable dans des gens de cette espèce, de recevoir le schelling en donnant du poisson pour la valeur de dix ou douze. Aussi les prêtres français s’émerveillaient du bon marché. Cette singulière transaction commerciale s’est renouvelée tous les vendredis pendant des années ; les gens de Billingsgute avaient l’idée qu’elle leur portait bonheur.

La malheureuse expédition de Quiberon avait eu lieu depuis longtemps, avec des circonstances déplorables pour tout ce qui y avait pris part. Le séjour de l’île d’Yeu sera à jamais la honte de la haute émigration. Monsieur de Vauban n’en a fait qu’un trop fidèle récit.

Monsieur de Frotté, le frère du général, vint à Londres. Sa mission était d’avertir monsieur le comte d’Artois que la Vendée était perdue s’il ne s’y présentait un prince. Je ne sais qui l’amena chez ma mère ; il y venait