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MADEMOISELLE LEGARD

Leurs pères avaient joué un rôle parmi les cavaliers. Je le croirais d’autant plus volontiers que sir John avait une très vieille tante, restée fille, qui ne venait jamais dîner chez lui à cause de ce toast. Elle habitait une petite ville des environs, Beverley, rendait beaucoup à son neveu, comme chef de la famille, mais avait deux grands griefs contre lui, en outre du toast : l’un d’avoir renoncé à l’habitation du manoir seigneurial, devenu trop grand pour sa fortune et qui était en mauvais état ; l’autre, de ne pas maintenir la prononciation gutturale du G, dans son nom qu’elle prétendait d’origine normande, Lagarde. Quant à elle, elle le disait toujours ainsi.

Elle me caressait beaucoup, et nous découvrîmes un beau jour que c’était à cause de mon sang normand. Sir John lui préparait un nouveau chagrin : non content d’avoir quitté son castel pour résider dans une plus petite habitation, il abandonna sa province.

Malgré leur amour exalté de leur patrie, les anglais tiennent singulièrement peu à leur endroit, s’il est permis de se servir de ce terme. Ils s’éloignent sans regret du lieu que leurs parents, ou eux-mêmes, ont habité longuement pour aller chercher une résidence qui s’accorde avec leurs goûts du moment, soit pour la chasse, la pêche, les courses sur terre ou sur l’eau, l’agriculture, ou toute autre fantaisie qu’ils appellent une poursuite, et qui les absorbe tant qu’elle dure.

J’ai connu un monsieur Brandling qui a quitté un beau château où il était né et avait été élevé, un voisinage où il était aimé, estimé, qui lui plaisait, pour aller s’établir à cinquante milles de là, dans une maison louée, au milieu du plus vilain pays, uniquement parce que ses palefreniers pouvaient y promener ses chevaux tous les matins, sur une commune dont la pelouse offrait dix milles de parcours, sans qu’ils eussent à poser le sabot