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LADY LEGARD

lui. Il eut une explication où il lui représenta que sa fortune le forcerait à habiter exclusivement ses terres et qu’il ne voulait pas demander un si énorme sacrifice à une fille élevée dans le plus grand monde de Londres. Ma pauvre cousine ne comprit pas ce langage et accepta une main qu’on ne lui offrait plus qu’à regret.

Sir John quitta l’armée et s’établit en Yorkshire. Peut-être cette retraite aurait-elle été moins austère si madame Hadges n’avait commencé bien promptement à tenir la conduite plus que légère qui a tant fait parler d’elle. Lady Legard fut punie des torts de sa sœur par la sévérité toujours croissante de son mari. Elle était la meilleure femme du monde, mais la compagne la moins faite pour partager la retraite d’un homme distingué, non qu’elle n’eût assez de connaissances, mais la vie ne lui apparaissait jamais que sous son aspect le plus matériel.

Elle n’avait d’autre autorité dans la maison que celle de commander le dîner, et ce travail lui prenait chaque jour une bonne partie de la matinée. Une fois par semaine, de telle heure à telle heure, ni plus ni moins, elle faisait sa correspondance. Sa montre consultée, elle quittait une page commencée, prenait son rouet, remettant sa lettre à huitaine. Une autre heure appelait une promenade d’un nombre fixe de tours, toujours dans la même allée. Elle mesurait la quantité d’ourlets qu’elle devait accomplir dans un temps donné, et attachait de l’importance à achever cette tâche à la minute fixée. Son mari l’appelait milady Pendule, et il avait raison.

Hé bien, cette femme ainsi faite aimait le plaisir, le monde et surtout la toilette. Dès qu’elle trouvait la moindre occasion de satisfaire ses goûts, elle s’y livrait. Elle n’aurait pas osé demander des chevaux pour aller se promener, encore moins pour faire une visite ; mais, lorsque son mari lui disait d’une voix bien solennelle