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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

C’est ainsi qu’elle s’inspirait des statues antiques et que, sans les copier servilement, elle les rappelait aux imaginations poétiques des Italiens par une espèce d’improvisation en action. D’autres ont cherché à imiter le talent de lady Hamilton ; je ne crois pas qu’on y ait réussi. C’est une de ces choses où il n’y a qu’un pas du sublime au ridicule. D’ailleurs, pour égaler son succès, il faut commencer par être parfaitement belle de la tête aux pieds, et les sujets sont rares à trouver.

Hors cet instinct pour les arts, rien n’était plus vulgaire et plus commun que lady Hamilton. Lorsqu’elle quittait la tunique antique pour porter le costume ordinaire, elle perdait toute distinction. Sa conversation était dépourvue d’intérêt, même d’intelligence. Cependant il fallait bien qu’elle eût une sorte de finesse à ajouter à la séduction de son incomparable beauté, car elle a exercé une entière domination sur les personnes qu’elle a eu intérêt à gouverner : son vieux mari d’abord qu’elle a couvert de ridicule, la reine de Naples qu’elle a spoliée et déshonorée, et lord Nelson qui a souillé sa gloire sous l’empire de cette femme, devenue monstrueusement grasse et ayant perdu sa beauté.

Malgré tout ce qu’elle s’était fait donner par lui, par la reine de Naples et par sir William Hamilton, elle a fini par mourir dans la détresse et l’humiliation aussi bien que dans le désordre. C’était, à tout à prendre, une mauvaise femme et une âme basse dans une enveloppe superbe.

La reine de Naples avait eu beaucoup de peine à consentir à la recevoir. Ma mère avait été employée par sir William à obtenir cette faveur. Mais elle ne tarda pas à s’emparer de l’esprit de la Reine. Il est indubitable que les cruelles vengeances exercées à Naples, sous le nom de la Reine et de lord Nelson, ont été provoquées, on peut