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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

de la Reine avec monsieur de Breteuil. Il portait ses lettres chez monsieur de Mercy ; et, quelquefois, lorsqu’on craignait d’exciter l’attention par des visites trop fréquentes, c’était Bermont qui allait les recevoir des mains de la Reine. Mon père a eu la certitude qu’une somme de soixante mille francs lui avait été offerte pour livrer ces papiers. S’il avait remis une de ces lettres de la Reine qu’il savait porter, certes il aurait pu la vendre bien cher.

La situation de la famille royale devenait de jour en jour plus intolérable. Le Roi consentit enfin à reconnaître et à jurer la Constitution. Que ceux qui l’accusent de faiblesse se mettent à sa place avant de le condamner. Mon père ne se l’est jamais permis ; mais il a fortement désapprouvé le plan suivi par lequel il devait apporter tous les obstacles possibles à la Constitution qu’il venait d’accepter :

« Puisque vous l’avez jurée, Sire, disait-il, il faut la suivre loyalement, franchement, l’exécuter en tout ce qui dépend de vous.

– Mais elle ne peut pas marcher.

– Hé bien, elle tombera, mais il ne faut pas que ce soit par votre faute. »

Dans ces nouveaux prédicaments, mon père blâma hautement la correspondance de la Reine avec Bruxelles. Elle eut l’air de l’écouter, de se ranger à son avis ; mais elle se cacha seulement de lui, et trouva un autre agent, sans pourtant lui en savoir mauvais gré, ni lui retirer sa confiance sur d’autres points.

Ces pauvres princes ne voulaient suivre complètement les avis de personne, et cependant accueillaient et acceptaient en partie tous ceux qu’on leur donnait. Il en résultait dans leur conduite un décousu qui se traduisait aisément en fausseté aux yeux de leurs ennemis et en lâcheté