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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

œuvre, dont je reconnaissais la supériorité littéraire, était, à son avis, celle d’un bon citoyen : « Je n’ai pas la prétention d’être un bon citoyen ! » s’il croyait que ce fût le moyen de faire rentrer le Roi aux Tuileries : « Dieu nous en garde ! je serais bien fâché de l’y revoir ! » — « Mais alors, ne serait-il pas plus prudent de se rallier à ce qui se présente comme pouvant arrêter ces calamités anarchiques, si raisonnables à prévoir, dont vous faites la terrifiante peinture ? »

Madame Récamier profita de cette ouverture pour dire que j’avais été au Palais-Royal le matin. Elle se hasarda à ajouter qu’on y attachait un grand prix à son suffrage, à sa coopération. On comprenait les objections qu’il pourrait avoir à prendre une part active au gouvernement, mais on pensait qu’il consentirait peut-être à retourner à Rome.

Il se leva en disant : « Jamais ! » ; et il se mit à se promener à l’autre extrémité de la petite galerie.

Madame Récamier et moi continuâmes à causer, entre nous, des convenances de son séjour à Rome, des services qu’il pouvait y rendre à la religion, du rôle, tout naturel et si utile, que l’auteur du Génie du Christianisme avait à y jouer dans de pareils prédicaments, etc. Il feignait de ne pas nous écouter. Cependant il s’adoucissait, sa marche se ralentissait ; lorsque tout à coup, s’arrêtant devant une planche chargée de livres et se croisant les bras, il s’écria : « Et ces trente volumes, qui me regardent en face, que leur répondrais-je ? Non… non… ils me condamnent à attacher mon sort à celui de ces misérables. Qui les connaît, qui les méprise, qui les hait plus que moi ? » Et alors, décroisant ses bras, appuyant les mains sur les bouts de cette longue table qui nous séparait, il fit une diatribe contre les princes et la Cour. Il laissa tomber sur eux