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UNE SEMAINE DE JUILLET 1830

déposé entre ses mains le pouvoir auquel les événements l’appelaient. De plus, il était censé malade. C’est sa ressource ordinaire lorsque son ambition reçoit un échec considérable, et peut-être au fond l’impression est-elle assez violente pour que le physique s’en ressente.

Madame Récamier me pressa fort d’aller chez lui chercher à le calmer. Je consentis à l’y accompagner ; et, montant toutes deux dans la voiture qui m’avait amenée, nous arrivâmes à sa petit maison de la rue d’Enfer.

Madame Récamier y était connue. On nous laissa pénétrer sans difficulté jusqu’à son cabinet. Nous frappâmes à la porte ; il nous dit d’entrer. Nous le trouvâmes en robe de chambre et en pantoufles, un madras sur la tête, écrivant à l’angle d’une table.

Cette longue table, tout à fait disproportionnée à la pièce qui a forme de galerie, en tient la plus grande partie et lui donne l’air un peu cabaret. Elle était couverte de beaucoup de livres, de papiers, de quelques restes de mangeaille et de préparatifs de toilette peu élégante.

Monsieur de Chateaubriand nous reçut très bien. Il était évident, cependant, que ce désordre et surtout ce madras le gênaient. C’était à bon droit, car ce mouchoir rouge et vert ne relevait pas sa physionomie assombrie.

Nous le trouvâmes dans une extrême âpreté. Madame Récamier l’amena à me lire le discours qu’il préparait pour la Chambre : il était de la dernière violence. Je me rappelle, entre autres, un passage, inséré depuis dans une de ses brochures, où il représentait monsieur le duc d’Orléans s’avançant vers le trône deux têtes à la main ; tout le reste répondait à cette phrase.

Nous écoutâmes cette lecture dans le plus grand silence et, quand il eut fini, je lui demandai si cette