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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

établis avec leur attirail. Tout était démeublé ; on heurtait des tapissiers portant leurs échelles, des valets replaçant des sièges.

À travers ce désordre circulaient des gens de toute nature. On mangeait dans toutes les pièces. Tout le monde entrait comme dans la rue ; et la garde de ce Palais, portant le costume dont j’ai déjà parlé, formait une singulière disparate avec les lieux, si ce n’est avec la société.

Il n’y avait pas moyen de causer dans un pareil brouhaha. Madame la duchesse d’Orléans trouva seulement le temps de me dire, pendant notre retraite à travers les cabinets de Mademoiselle, qu’elle était plus tranquille sur madame la Dauphine. Elle avait rencontré monsieur le duc de Chartres, dans la nuit précédente, près de Fontainebleau ; et, comme on n’en avait pas d’autre nouvelle, c’était la preuve qu’il ne lui était rien arrivé de fâcheux. Elle devait avoir rejoint sa famille.

C’était une grande inquiétude de moins pour madame la duchesse d’Orléans. Elle aime tendrement madame la Dauphine ; et, dans toutes les tristes circonstances qui se sont succédé, c’est toujours des malheurs et des impressions de cette princesse que j’ai vu la Reine s’inquiéter et se désoler.

On me montra, plus tard dans cette matinée, une lettre interceptée de madame la Dauphine écrite à son mari. J’ai conservé le souvenir d’une phrase qui me frappa extrêmement. Après avoir rendu compte, en termes fort amers, de la scène du théâtre de Dijon dont elle sortait, des cris insolents qu’on y avait poussés, elle ajoutait : « Ils avaient bonne envie de m’insulter personnellement ; mais je leur ai fait cet air qu’on me connaît, et ils n’ont osé. »

Ainsi cet air qu’on lui connaît, et que nous regardions