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UNE SEMAINE DE JUILLET 1830

Le billet était daté de Neuilly, dix heures et demie. Comment y aller ? Toute circulation, en voiture, était impossible.

Arago et madame de Rauzan me pressèrent également de m’y rendre, de peindre l’état des choses et de hâter un dénouement. Après quelques instants d’hésitation, je me décidai à me mettre en route à pied. Arago me donnait le bras.

Je dis à madame de Rauzan, qui m’aidait à nouer mon chapeau tant elle était pressée de m’expédier : « Soyez-moi témoin que je ne vais pas à Neuilly comme orléaniste, mais comme bonne française, voulant la tranquillité du pays. » Elle me souhaita tout succès et me répondit que ma mission était une œuvre de charité.

Arrivés à la place Beauvau, nous entendîmes lire la proclamation manuscrite du lieutenant général du royaume, celle qui disait : « La Charte sera une vérité. » L’homme qui la publiait s’arrêtait, de cent pas en cent pas, pour renouveler cette lecture,

Les groupes se formaient autour de lui. Voici les faits dont j’ai été témoin. On l’écoutait avec une grande anxiété ; elle ne produisait ni joie ni enthousiasme, mais un extrême soulagement. Chacun retournait très calmement à ses affaires, comme ayant reçu une solution satisfaisante à une question dont il était vivement inquiet, et respirant plus librement. Cette impression m’a paru tout à fait générale ; mais, il ne faut pas l’oublier, je parle seulement de ce que j’ai vu. Il est possible que, dans d’autres quartiers, elle ait été toute différente.

Il me faut encore m’arrêter en route, pour raconter une circonstance dont j’ai été témoin. Je ne me la rappelle jamais sans émotion.

Nous suivions péniblement la rue du Roule, ayant à gravir les barricades aussi bien que la montagne.