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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

parvint jusqu’au maréchal, lui porta de l’argent et lui offrit de l’emmener par les bois jusqu’au pavillon qu’il habitait où il aurait pu être très bien caché. Le maréchal hésita, puis se décida à rester. L’autre parti lui aurait-il mieux tourné ? Je ne le pense pas. Il lui valait mieux accomplir son sort et rester à son poste ; mais j’ignorais alors si ce poste était tenable.

Tandis que j’écrivais à ma mère, il m’arrivait visite sur visite. Tout le monde était au désespoir, car rien ne se décidait, rien ne se publiait.

Les mêmes gens, qui depuis ont dit, soutenu, imprimé que monsieur le duc d’Orléans était tellement nécessaire qu’il pouvait se faire prier longtemps et n’accepter qu’aux conditions les plus avantageuses, s’alarmaient, se désolaient alors de chaque heure de retard et s’impatientaient hautement de ce qu’il ne se jetait pas tout à travers le mouvement. « Qu’il commence par s’emparer du pouvoir, disaient-ils, on s’expliquera plus tard, » C’était l’opinion la plus générale : je conviens l’avoir partagée. L’anarchie nous arrivait de tous les côtés et me semblait le pire des maux.

Arago survint tout bouleversé. Ses efforts étaient dépassés. Il quittait une réunion de jeunes gens qui se disposaient à proclamer la république. Puis vint la duchesse de Rauzan apportant la même nouvelle. Moreau aussi l’avait recueillie dans la rue et en faisait un nouvel argument pour m’emmener. Cependant je résistai, et je l’expédiai avec ma réponse. Dans ce moment, je reçus celle de madame de Montjoie : « Votre billet, me disait-elle, ne m’est parvenu qu’à dix heures ; il est déjà sous les yeux de monsieur le duc d’Orléans. Venez, venez, très chère ; on vous attend ici avec la plus vive et la plus tendre impatience. »

Je voulus questionner le messager ; il était reparti.