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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

a quelque ordre à me donner pour Paris où je retourne.

— Moi, non, quel ordre aurais-je à vous donner ? vous n’êtes pas de mon armée. »

Et, là-dessus, il lui tourna le dos. Voilà comment a été congédié, le trente, un des plus fidèles serviteurs de la monarchie. Il en était navré.

Il avait entendu monsieur de Polignac répondant à madame de Gontaut, qui l’accablait de reproches : « Ayez donc de la foi, ayez donc de la foi, elle vous manque à tous, » et tenir aussi ce propos qu’il a répété plusieurs fois : « Si mon épée ne s’était pas brisée entre mes mains, j’établissais la Charte sur une base inébranlable. » Cette phrase ne s’expliquait pas mieux que sa conduite ; il avait, au reste, l’air parfaitement serein.

En revanche, le pauvre duc de Raguse était désespéré de tout ce qui s’était passé à Paris, accablé de tout ce qu’il voyait à Saint-Cloud, quoique sa scène avec monsieur le Dauphin n’eût pas encore eu lieu.

Pozzo vint chez moi. Monsieur de Glandevès lui raconta les détails de sa visite à Saint-Cloud, et il en revint à son antienne du matin et de la veille : ces gens-là étaient perdus, finis ; Neuilly présentait la seule ressource qui pouvait sauver le pays. Je lui parlai de l’état de monsieur de Mortemart : « C’est un brave et excellent homme, me dit-il ; fut-il en pleine santé, il n’est pas de force dans ces conjonctures. D’ailleurs, personne ne le serait avec ces gens-là. »

Pozzo me quitta de bonne heure. Plusieurs personnes passèrent dans mon salon ; j’ai oublié quelles elles étaient. Monsieur Pasquier arriva tard ; il avait vu monsieur de Mortemart dans son lit très souffrant d’un violent accès de fièvre. Rien de ce qui s’était passé à l’Hôtel de Ville, ni à la Chambre des députés, n’était favorable à sa mission.