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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

tout cela il n’y avait pas un mot de vrai, mais les gens les mieux informés y ont cru, en partie, pendant vingt-quatre heures.

L’histoire du préfet pendu m’a toujours fait penser que cette ruse avait été inventée, par des gens assez compromis pour désirer voir le peuple se porter à des excès qui le rendissent irréconciliable avec Saint-Cloud.

Un pareil exemple ne s’offre pas par hasard à une multitude qu’on devait supposer bien préparée à toute espèce de cruautés par l’enivrement de la poudre et de la victoire. Si cet horrible plan fut conçu, il échoua ; heureusement, elle n’en commit aucune.

Je me sers à dessein de l’expression d’enivrement de la poudre. Celui du vin n’était pas à craindre, car, dans cette semaine héroïque (on ne peut lui refuser ce nom), il n’y a pas eu un verre de vin débité dans aucun cabaret ; et l’ivrogne le plus reconnu n’aurait pas voulu s’exposer à en boire. C’était bien assez de la chaleur, du soleil et des événements pour exalter les têtes.

Je vis revenir beaucoup de soldats de la garde. Les uns, soi-disant déguisés, avec une blouse sous laquelle passait leur chaussure militaire et portant encore la moustache, les autres tout bonnement en uniforme, mais sans armes. Tous étaient arrêtés à ma barricade, mais pour y recevoir des poignées de main. Il n’y avait plus la moindre hostilité contre eux ; aussi n’en témoignaient-ils aucune de leur côté.

Je me rappelle avoir entendu un défenseur des barricades demander à un de ces soldats :

« Croyez-vous que nous serons attaqués cette nuit ?

— Non, je ne crois pas que nous le soyons répondit-il.

On ne peut faire plus complètement cause commune ;