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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

parlerai encore. D’une fenêtre, où je me tenais habituellement, je voyais et j’entendais tout ce qui s’y passait. Ce point était devenu un centre ; les voisins s’y réunissaient autour des vingt-cinq ou trente hommes de garde. Ceux-ci n’en ont bougé que lorsqu’ils ont été relevés par un élève de l’École polytechnique et remplacés par d’autres, après vingt-huit heures de faction pendant lesquelles les gens du quartier avaient soin de leur porter à manger et à boire.

J’ai pris simplement l’engagement de dire ce que j’ai vu de mes yeux et entendu de mes oreilles ; j’entre donc sans scrupule dans tous ces détails. D’ailleurs, ce qui se passait sur ce petit théâtre se renouvelait à l’embranchement de chaque rue dans la ville, et peut donner une idée assez exacte de la situation générale.

J’affirme positivement que, pendant toute cette journée et celles qui l’ont suivie, je n’ai recueilli d’autres cris que celui de : Vive la Charte, et personne ne m’a rapporté en avoir entendu un autre. Il faut faire une grande différence entre l’esprit qui régnait véritablement dans la ville et celui qui pouvait éclater aux entours de l’Hôtel de Ville. Là, des meneurs factieux appelaient une révolution ; partout ailleurs on voulait seulement éloigner les gens qui prétendaient établir l’absolutisme. On aurait, ce jeudi-là, traîné le roi Charles x en triomphe s’il avait rappelé ses ordonnances et changé son ministère. Aurait-il pu régner après une telle concession ? C’est une question que je ne puis ni discuter, ni résoudre ; je prétends seulement conclure que la Charte établie répondait aux vœux de tous en ce moment.

Je reviens à mon récit. J’entendis bientôt de grands cris ; ils paraissaient de joie, mais tout effrayait alors.