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UNE SEMAINE DE JUILLET 1830

ostensiblement dans le centre de la ville ; les femmes s’occupaient à faire des cartouches sur leurs portes. De notre côté, on se bornait à les recevoir.

J’entendis un homme crier à son voisin par sa fenêtre, en lui montrant deux cartouches : « Quand j’en aurai six, je partirai. » Un instant après, je le vis dans la rue son fusil sur l’épaule. Il fut rejoint par le voisin ; après un colloque fort court, celui-ci rentra chez lui, en ressortit avec un sabre et un long pistolet et suivit la même route. Ces gens étaient des pères de famille rangés et tranquilles ; mais je ne puis assez le répéter, car c’est l’explication de tout ce qui s’est passé dans ces journées, la population entière était électrisée, Tout le monde prenait une part active aux événements et quelques-uns avec une énergie, un courage, un dévouement inouïs.

À la descente de la porte Saint-Martin, un des passages les plus disputés, il se livra une véritable bataille. Un monsieur se trouvait sans armes à côté d’un homme du peuple portant un fusil dont il ne savait pas se servir : « Prêtez-moi votre fusil, mon ami ?

— Volontiers, monsieur, appuyez-le sur mon épaule ; cela vous sera plus commode. »

Un coup, deux coups furent tirés à la grande admiration du prêteur d’armes. Enfin la personne qui tirait s’aperçut qu’il lui faisait un rempart de son corps et lui vit attirer un de ses camarades près de lui pour le masquer tout à fait.

« Ah ! cela, mes amis, écartez-vous un peu, s’il vous plaît ; vous me faites jouer un rôle ridicule.

— Eh ! mon Dieu, monsieur, qu’est-ce que cela fait que nous soyons tués ? Nous ne savons pas tirer, nous, vous voyez bien ; mais vous, c’est très différent ! »

Cette histoire me fut racontée dès le lendemain, chez l’ambassadeur de Russie qui trouvait cela admirable.