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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Les enfants de monsieur le duc d’Orléans se sont trouvés classés entre eux par leurs années. Monsieur le duc de Chartres, les princesses Louise et Marie, et monsieur le duc de Nemours étaient assez rapprochés d’âge pour vivre constamment ensemble, suivre les mêmes études et avoir les mêmes instituteurs.

La princesse Marie était l’âme, le mouvement et le tyran chéri de ce quatuor qu’elle dominait, sans que ni lui, ni elle s’en doutassent. Plus souvent punie, mais aussi plus souvent admirée, elle faisait le désespoir et la gloire de ses maîtres dont, en fin de compte, elle restait la favorite, et, malgré la perfection de la princesse Louise à laquelle on ne trouvait jamais un reproche à faire, les mutineries de Marie avaient tant de grâce, elle les réparait avec tant de cœur qu’elle n’en était que plus aimée.

Comme toutes les personnes sur lesquelles le génie a secoué son flambeau, elle était sujette à des accès de non-valeur, qu’on qualifiait de paresse, et qui désespéraient la mère et la gouvernante ; mais, bientôt, elle reprenait un nouvel élan et dépassait rapidement ceux qu’elle avait laissé la devancer.

Il est assez remarquable combien des esprits, même extrêmement distingués, sont sujets, dans la première jeunesse, à ces accès de nullité morale où tout en eux semble s’engourdir. Je crois que cela tient à un état morbide de l’imagination dont l’éducation ne saurait trop sérieusement s’occuper.

C’est un certain mécontentement de toute chose terrestre, du monde tel qu’il existe, de la société telle qu’elle est faite, des connaissances qu’on trouve trop bornées, des affections qui ne suffisent plus, enfin une aspiration de l’illimité, un appétit du fruit de l’arbre du bien et du mal qu’on a appelé récemment du nom d’esprit artiste,