Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome IV 1922.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
UNE SEMAINE DE JUILLET 1830

D’ailleurs, l’affaire était trop engagée ; il fallait avant tout triompher de l’insurrection.

Monsieur de La Rue ajouta qu’il venait de porter l’ordre de marche aux colonnes : elles devaient s’avancer en balayant tout devant elles, et probablement j’entendrais gronder le canon sous moins d’une demi-heure.

« Dieu nous en garde ! m’écriai-je. J’ignore quel en serait le résultat pour la monarchie ; mais, si elle réchappe d’une pareille crise, elle sera forcée de sacrifier tous ceux qui auront mitraillé la population parisienne dans une cause si odieuse à la nation ! »

Je lui fis la peinture de la position du maréchal, de son impopularité dans le pays, où les calomnies inventées en 1814 avaient encore cours, du peu d’affection que lui portait la Cour, de la méfiance qu’il inspirait aux partis ultra et jésuitique, enfin de la disposition où serait tout le monde à l’offrir en holocauste. « Si le maréchal, ajoutai-je, fait tirer un seul coup de canon, qu’il se fasse tuer, car sa vie ne sera plus qu’une série de malheurs ! »

J’étais fort animée et je parvins à persuader La Rue. Il devenait de plus en plus soucieux et me répondait toujours par cette exclamation :

« Mais que faire ! on tire sur nous ; l’affaire est engagée ; il faut bien commencer par la vider et mettre ces gens-là à la raison ! Et d’ailleurs il n’y a pas moyen de parler au maréchal. Il a été obligé de m’attirer dans l’embrasure d’une fenêtre pour me donner le message que je vous apporte, et il a eu toute la difficulté possible à trouver un moment pour lire votre lettre.

— Pourquoi donc cela ?

— Mais les ministres sont aux Tuileries, chez lui. Monsieur de Polignac et son monde l’entourent et le gardent tellement à vue qu’en étant nominativement le chef