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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Au reste, le Roi est trop réellement et habituellement brave pour s’être senti honteux d’une démarche que la prudence pouvait commander et qu’elle justifiait certainement. S’il lui en est resté quelque sentiment envers monsieur Thiers, c’est plutôt du mécontentement, pour des précautions mal ordonnées et des inquiétudes exagérées semées autour de lui que de la reconnaissance pour l’initiative prise par le ministre en conseil.

Quoi qu’il en soit, si monsieur Thiers avait, comme je le crois, fondé des espérances de domination sur cette circonstance, il ne tarda pas à en reconnaître la vanité.

Personne n’admet plus que moi l’esprit supérieur et même le talent de monsieur Thiers ; mais, selon qu’il se pose devant son imagination mobile en Oxenstiern ou en Turenne, en Colbert ou en Richelieu, il veut que les événements se dénouent par la politique ou par la guerre, par la prospérité intérieure ou par l’intimidation.

Sa pensée, en entrant au ministère, avait été de rattacher la dynastie nouvelle aux trônes européens et de sceller cette alliance par le mariage de monsieur le duc d’Orléans avec une archiduchesse.

En conséquence, il avait adopté vis-à-vis de la Suisse le langage d’un membre de la Sainte-Alliance ; puis il avait jeté à l’Autriche des paroles napoléoniennes et envoyé notre prince à Vienne, dans l’espoir que sa présence brusquerait une affaire que, dans son ignorance diplomatique, il croyait bien engagée, mais qui échoua d’une façon désagréable pour le pays et pour la famille royale.

Monsieur Thiers, furieux de ce mésuccès, revint à ses instincts révolutionnaires, tempêta contre l’insolence des souverains et des grands seigneurs, et, pour se venger