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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

en frac, dans un bateau de passage, et seul. Il a demandé à voir la duchesse et s’est nommé ; aussitôt on l’a introduit et on les a laissés seuls ; l’entretien a dû être curieux. La petite était sur le pont ; on ne l’a pas demandée.

« Une heure après, les époux sont venus sur le pont en se tenant sous le bras. La petite fille était là ; il n’en a pas été question. Le prétendu père n’y a pas fait la moindre attention. J’ai bien observé cette circonstance qui est importante dans l’affaire ; j’ai aussi remarqué que les fidèles voyageurs traitaient l’époux assez légèrement.

« C’est le moment de vous en parler. Il peut avoir cinq pieds six pouces, beau, brun, un embonpoint convenable aux conditions qu’il a acceptées. Il a l’esprit borné et peu orné ; il parle cependant plusieurs langues. Il est renommé à Palerme pour ses succès de femmes ; il a été secrétaire d’ambassade à Madrid où il vivait avec l’ambassadrice, et à la Haye où il vit avec une autre vieille femme, et enfin il justifie son goût des vieilles amours en se fixant avec la princesse.

« En paraissant sur le pont avec sa femme sous le bras, ils avaient l’un et l’autre l’air très embarrassé. Ce premier moment méritait un peintre habile, la curiosité sur toutes les figures, la bassesse masquée par la politesse dans les manières des courtisans.

« Le nez de monsieur de Mesnard a rougi aussitôt : des favoris, des moustaches, une barbe blanche qu’il a laissée croître lui donnaient une physionomie étrange ; il semblait un coq blanc se préparant à la bataille. On voyait son dépit, son chagrin, sa colère ; mais, quand il parlait au préféré, sa figure était gracieuse, elle reprenait son autre aspect dès qu’il ne se croyait plus aperçu par Hector.

« Mes regards se portaient surtout sur le père ; je