Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome IV 1922.djvu/199

Cette page a été validée par deux contributeurs.
194
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Pour elle, la surprise était jointe au chagrin. Les ministres, ni le Roi, n’avaient jamais osé lui parler des soupçons qu’on avait conçus. Accoutumée aux infâmes propos des journaux, elle n’y avait fait aucune attention sérieuse ; et même, monsieur le duc d’Orléans ayant, quelques jours avant, hasardé une allusion à ce sujet, sa mère, si douce pour lui habituellement, l’avait traité avec une très grande sévérité. Le coup qui la frappait lui était imprévu.

J’osai m’étonner et regretter que madame la duchesse de Berry n’eût pas eu recours à elle dans son malheur.

« Ah, ma chère, que ne l’a-t-elle fait !… Ils auraient dit ce qu’ils auraient voulu mais rien ne m’aurait empêchée d’aller la soigner moi-même si on n’avait pas voulu la mettre à l’abri de cette honte !… Après tout, c’est la fille de mon frère !… et encore, c’est de Blaye que je m’occupe le moins ; mais cette pauvre Dauphine ! Oh, mon Dieu, cette pauvre Dauphine si pure, si noble, si sensible à la gloire ! quelle douleur, quelle humiliation ! voir salir ses malheurs ! Ah ! je sens tout ce qu’elle souffre, mon cœur en saigne, et je n’ose pas même le dire ! »

Les larmes de la Reine coulaient abondamment.

Elle ne se faisait aucune illusion sur ce prétendu mariage. Je sais pourtant que, malgré la promesse donnée de ne plus se mêler du sort de madame la duchesse de Berry, elle essaya de tirer de cette déclaration qui de droit annulait les prétentions à la Régence un argument pour solliciter l’ouverture immédiate des portes de Blaye.

Mais la Reine avait contre elle le cabinet, monsieur le duc d’Orléans, je suis fâchée de l’avouer, madame Adélaïde et même le Roi qu’on avait enfin persuadé, et