Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome IV 1922.djvu/153

Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

qui se prit à hurler quatre-vingt-treize revenu, à réclamer le supplice dû à sa fidélité, à prédire l’échafaud fumant derechef du plus noble sang de France… Il m’écrivit lettre sur lettre pour me défendre de rien tenter pour sauver sa tête ; c’était un tissu d’extravagances. Mes réponses aggravant encore sa violence, je cessai de lui en faire et, cinq jours après, j’eus le plaisir d’aller le voir chez lui où il était rentré en pleine sécurité.

Ses compagnons d’infortune partagèrent le même sort. Monsieur de Chateaubriand vantait les grâces et l’amabilité de mesdemoiselles Gisquet (les filles du préfet de police) et traitait fort légèrement sa courtoise incarcération. Celle de monsieur Berryer se prolongea davantage.

Je crois être assurée que la réponse de la Régente à la note du conseil de famille était peu obligeante. En les remerciant des services passés, elle dispensait de ceux de l’avenir, indiquant assez clairement combien leur prudence lui paraissait celle des vieillards et peu propre à reconquérir le royaume de saint Louis.

Ce qui est positif, c’est que ces messieurs, pour la plupart, s’en tinrent offensés et se dispersèrent. Monsieur de Chateaubriand rêva pour lors une résidence à Lugano. Il y conserverait le feu sacré de la liberté et ferait gémir une presse tout à fait indépendante sous les efforts de son génie. Il voulait placer dans cette petite république un levier avec lequel son talent soulèverait le monde.

Cette fantaisie le fit retourner en Suisse, avec assez d’empressement, après des adieux solennels à son ingrate patrie.

Je ne l’avais vu qu’une fois à sa sortie de prison. Il faisait alors bien bon marché de l’héroïsme de madame la duchesse de Berry, la traitant de folle et d’extravagante.