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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

bassadeur, la France est préparée à accepter tout ce que le Roi voudra et à l’en bénir. »

Dans la soirée, on jeta quelques pierres à la voiture vide du ministre ; son cocher fut légèrement atteint, mais elle rentra à l’hôtel dont on ferma la porte cochère. Le groupe qui la poursuivait se dispersa ; sans doute monsieur de Polignac triompha et crut l’orage dissipé. Nous nous séparâmes fort tard et bien tristes.

Si je voulais raconter tout ce qui est venu ensuite à ma connaissance et les détails appris depuis, il y aurait bien long à dire, mais je m’attache à écrire uniquement ce que j’ai vu, ou entendu moi-même, et dans le temps[1].


(27 juillet.)

Le mardi vingt-sept, j’appris, par une trentaine d’ouvriers de diverses professions, qui travaillaient chez moi et venaient de différents quartiers, l’agitation répandue dans la ville. J’en trouvai beaucoup parmi eux, mais fondée sur des raisonnements si sages que j’en fus surprise.

Je ne puis m’empêcher de consigner ici une remarque faite à cette époque. J’avais arrangé une maison en 1819

  1. Il y a pourtant un fait dont j’ai la certitude, il peint tellement le prince de Polignac que je ne puis résister à le citer. Le dimanche soir, les ordonnances étant signées et tandis qu’on imprimait le Moniteur, monsieur de Polignac dans son plus intime intérieur, entouré de gens sur lesquels il pouvait entièrement compter, mit la conversation sur les discours du trône pour l’ouverture des Chambres. Pendant une heure et demie, il en discuta chaque parole, accueillant les objections et les combattant ou les admettant, comme la plus sérieuse chose du monde.

    On ne comprend pas comment, dans de pareilles conjectures, l’homme sur lequel pesait une si grande responsabilité pouvait avoir le sang-froid, ou plutôt la puérilité d’une telle comédie, ni ce qui pouvait l’amuser dans une mystification faite à des gens tout à fait dans sa dépendance.